Le gouvernement avait annoncé le 1er février 2019 par la voix d’Édouard Philippe sa volonté
de proposer une loi pluriannuelle ambitieuse pour développer la recherche.
Le moins que l’on puisse dire est que ce qui se dessine est tout le contraire
Décryptons !
Rappel des étapes antérieures :
La première phase de la construction de cette loi a été une phase de consultation de la communauté. Le
ministère, le CNRS, des universités ont mis en place des procédures de consultation par le biais de réunions
ou de sites en ligne.
Mais les préconisations ont surtout émergé de groupes de travail (GT) constitués par le ministère.
Ces groupes étaient au nombre de trois :
- groupe de travail «Financement de la recherche»
- groupe de travail «Attractivité des emplois et des carrières scientifiques»
- groupe de travail «Recherche partenariale et innovation»
Les organisations syndicales et des acteurs de l’enseignement supérieur et la recherche (CPU, établissements…)
ont été auditionnés par ces groupes de travail au printemps 2019.
Le comité national s’est auto-saisi parallèlement des mêmes problématiques et a publié à l’issue de sa réunion plénière du 4 juillet 2019 un texte fort exprimant les exigences de la communauté scientifique.
Les conclusions des GT ont été publiées le 23 septembre. Ils prônent les recrutements précaires, des augmentations de budget pour l’ANR, mais le seul remplacement des départs en retraite des fonctionnaires et une augmentation ridicule des crédits de base.
Toutes les mesures sont préconisées sous couvert d’excellence. Il s’agit de fournir des outils de pilotage de la recherche au plus près des projets à valoriser au nom de l’excellence, à travers des financements
et l’attribution de postes précaires.
L’apothéose de ces préconisations intervient sans aucun doute dans la déclaration de A. Petit président directeur général du CNRS et co-animateur du GT « financement de la recherche » qui appelait de ses voeux le 26 novembre dernier, lors de la cérémonie clôturant la célébration des 80 ans du CNRS, en présence d’E. Macron,
une recherche inégalitaire adhérent à un modèle darwinien.
Le moins que l’on puisse dire est que tout cela est aux antipodes de ce que nous avions proposé en tant
qu’organisation syndicale et de ce que le comité national avait demandé !
Le ministère prend la main des consultations et révèle plus précisément ses intentions :
C’est dès l’automne que le MESRI a repris lui même des consultations avec les organisations syndicales et les représentants des écoles, universités, et autres acteurs de l’ESR. Le calendrier s’est accéléré en janvier 2020 avec une réunion sur les ressources humaines au ministère, puis les voeux de la ministre du 21 janvier et une réunion multilatérale au ministère le lendemain. Il affirme ne pas vouloir reprendre l’ensemble des préconisations des GT.
1 – Le ministère envisage des augmentations de salaires minables pour les personnels
A ce stade il ne propose que 26 millions pour revaloriser les débuts de carrières des maîtres de conférence et chargés de recherche, avec entrée dans la carrière à deux fois le SMIC. Pour y parvenir il n’y aura pas de reconstruction de grille mais une simple entrée plus haut dans la grille.
Et par ailleurs 92 millions de primes pour tous (ou pour les seuls chercheurs ou enseignants-chercheurs selon les déclarations faites par la ministre et les interlocuteurs en présence) ce qui ne correspond qu’à 37 euros brut par mois. De plus 1/3 des primes destinées aux chercheurs et enseignants-chercheurs sera en partie distribué au mérite et/ou à la fonction.
Ces augmentations sont ridicules au regard des enjeux et des demandes que nous avions formulées, et même par rapport aux préconisations du GT « attractivité ».
2 – Du côté statutaire, le ministère souhaite organiser et institutionnaliser les emplois précaires pour mieux les développer
C’est ainsi qu’il propose un statut unifié pour les post-docs, une convention d’accueil pour l’éméritat donnant un cadre plus strict tout en augmentant sa durée. Il souhaite également rendre obligatoire le contrat doctoral pour les doctorants.
Il propose surtout de nouvelles modalités de recrutement non statutaires :
- des Chaires chercheur/professeur junior (les « tenure tracks » à la française): il s’agit de recrutements sur dossier avec audition par un jury pour 3 à 6 ans de CDD. Les salaires seront attractifs et 200 000 € environnés seront attribués.
A la fin du CDD, un nouveau passage devant un jury permettra éventuellement un recrutement statutaire en tant que professeur des universités ou directeur de recherche.
- des « CDI » de missions scientifiques : il s’agit de recrutements sur les projets de durée supérieure à 6 ans. La fin de contrat sera liée à la fin de projet. Il n’y aura pas de possibilité de renouveler ces contrats sur un même projet mais possibilité d’enchaîner toute sa vie des contrats de missions scientifiques sur des projets différents. Une modification du code de la fonction publique est nécessaire pour mettre ce dispositif en place.
- des CDI pour chercheurs des organismes effectuant de l’enseignement : il s’agit d’un modèle expérimenté dès maintenant à l’INRIA.
A côté de cela le gouvernement n’envisage qu’un simple maintien de l’emploi statutaire à son niveau très bas actuel (par exemple depuis 2005 perte de 1500 postes au CNRS). La LPPR ne réduit pas la précarité, elle la développe en l’organisant et l’institutionnalisant !!!
3 – Du côté financement de la recherche, tout sera centré sur le renforcement du rôle des appels à projet ANR
Le ministère annonce une augmentation des budgets ANR pour arriver au doublement du taux de succès aux appels à projet. Pour l’instant il ne donne pas de chiffre à part l’assurance de passer à terme (mais en combien de temps?) à 3 % du PIB dont un 1 % pour la recherche publique, à noter que cette promesse englobe l’ensemble des mesures financières de la LPPR.
A l’encontre de ce que nous demandions avec toute la communauté il n’y aura pas d’augmentation du financement récurrent. Seule l’augmentation de l’overhead de 40 % sur les projets lauréats des appels à projet ANR permettrait aux établissements et laboratoires de récupérer de l’argent pour fonctionner et développer une politique scientifique.
Le calendrier pour 2020
Le calendrier annoncé pour 2020 aurait dû être le suivant : le 11 février présentation du texte au
conseil économique social et environnemental et passage en conseil des ministres le 18 mars.
Ceci devrait conduire à un probable passage au Sénat avant l’Assemblée nationale au printemps.
La fin des examens parlementaires aurait été faite au Sénat à l’automne de manière à budgétiser cette loi dans le projet de loi de finances 2021.
Ce calendrier ne cesse de bouger nous ne pouvons parler qu’au conditionnel, ce flou montre à quel point le gouvernement est acculé devant la montée de la contestation !
De plus, le 24 janvier, le Conseil d’État a donné un avis défavorable sur le lien inscrit dans le projet de loi sur les retraites avec la LPPR.
Le jour du passage du projet de loi sur les retraites en conseil des ministres, le Conseil d’État rend son avis sur les deux textes du projet et dénonce l’inscription du renvoi à une autre loi (la LPPR) du volet rémunération des enseignants-chercheurs et des chercheurs. Il considère que ce renvoi « est contraire à la constitution ». Mais le gouvernement semble n’en avoir que faire à ce jour.
LPPR – retraites : deux combats indissociables
La loi pluriannuelle de programmation de la recherche (LPPR) et la réforme des retraites sont intimement liées. En effet, en baissant de 74,8% à 17,8% la cotisation employeur pour le financement des retraites des fonctionnaires, le gouvernement va creuser un trou de 41 milliards d’euros qui ne pourra être comblé que par la baisse des pensions. L’argent qu’il va ainsi récupérer va pour partie servir à financer les mesures qu’il inscrira dans la loi de programmation, mais pour partie seulement. Il est hors de question pour nous de sacrifier nos retraites pour éventuellement récupérer trois sous via la LPPR.
Une forte mobilisation est en cours dans toute la communauté contre la LPPR
Depuis l’annonce faite le 26/11/2019 par A. Petit, PDG du CNRS, appelant de ses voeux une loi inégalitaire en se référant au darwinisme, en présence du Président de la république E. Macron, toute la communauté scientifique se soulève contre une telle vision d’une future structuration de la recherche. Une pétition condamnant ces propos a recueilli près de 15000 signatures. De nombreuses réactions émanant des scientifiques, de même que des articles consacrés au dossier, sont publiés dans la presse avant les vacances de Noël.
Au sein des universités et des organismes de recherche, les assemblées générales se multiplient et la participation à ces AG est en augmentation. Les cortèges de l’ESR dans les manifestations interprofessionnelles contre le projet de réforme des retraites ne cessent de grossir. Des collectifs de mobilisation en région et à l’échelle nationale sont créés et participent à l’extension de la mobilisation des personnels en relation avec les organisations syndicales.
Une coordination nationale des facs et laboratoires s’est tenue les 1er et 2 février à la Bourse du travail de Saint-Denis. Elle appelle à renforcer la mobilisation et à une journée initiale d’arrêt de l’ESR le 5 mars prochain. Les motions, déclarations remontent des laboratoires, des instances du comité national et des conseils scientifiques d’universités.
Plus de 30 sociétés savantes ont pris position dans une tribune publiée le 15 janvier.
Plus de 5000 universitaires et chercheurs expriment leur volonté de se réapproprier leurs métiers en publiant dans le Monde une profession de foi commune de candidature collective à la présidence de l’Hcéres. Ils dénoncent les réformes structurelles au nom de « l’excellence » et défient ainsi le prétendant à ce poste T. Coulhon, conseil du président E. Macron en matière de recherche. Et un comité de visite de l’Hcéres refuse même d’aller évaluer un laboratoire…
La mobilisation doit s’amplifier, il faut organiser des manifestations spécifiques sur l’ESR dans le cadre de la mobilisation sociale en cours et préparer l’extension du mouvement à partir du 5 mars.
Nos conclusions :
La LPPR est une loi pour piloter la recherche grâce à une attribution discrétionnaire et inégalitaire de l’argent fléché sur des projets. L’emploi ne sera développé que sous la forme de postes précaires. Les personnels de la recherche et les équipes seront captifs, soumis envers la hiérarchie et contraints par les appels à projets. Cette loi s’inscrit aussi dans le cadre des politiques de site en remettant en cause le pilotage national des organismes de recherche en matière de recrutement et financement. C’est un coup décisif contre la liberté académique qui se prépare. Le ministère n’a évidemment que faire des revendications sur l’emploi et les budgets recherche portées par la communauté de l’ESR et nos organisations syndicales.
Le SNTRS-CGT revendique pour l’ESR :
- La programmation budgétaire d’une augmentation sur 4 ans de dix milliards d’euros, à raison de 3 milliards par an les deux premières années, suivies d’un milliard d’euros les années suivantes pour la recherche publique (et d’au moins le double pour le service public de l’enseignement supérieur). Ces budgets doivent permettre aux laboratoires de bénéficier des financements de base nécessaires à leur politique scientifique. Ceci permettrait de dépasser 1 % du PIB pour la recherche publique en 3 ans au plus et de rester au-dessus de ce pourcentage ensuite. Sur cette somme de dix milliards d’euros 4,5 milliards d’euros doivent aller au fonctionnement et à l’investissement. Le reste allant en masse salariale comme indiqué ci-dessous.
- Un plan de titularisation des personnels précaires et la mise en oeuvre d’un plan pluriannuel de création d’emplois de fonctionnaires dans tous les corps. Il est indispensable d’augmenter les effectifs de titulaires se consacrant à la recherche de manière à réduire au strict nécessaire l’emploi de contractuels, ce qui correspond à l’équivalent de 50000 emplois à temps plein recherche supplémentaires sur 4 ans, entraînant un surcoût de 625 millions.
- La revalorisation des carrières des personnels. Nos grilles et notre régime indemnitaire ne sont pas à la hauteur de la qualification des personnels de la recherche. Les déroulements de carrière doivent être améliorés, la cohérence des grilles entre les corps rétablie. Le minimum de rémunération doit être porté à 1800 € brut par mois. Pour tous, les primes doivent être alignées sur celles des personnels du reste de la fonction publique d’État à qualification équivalente et portées a minima à 30% du salaire, puis intégrées dans celui-ci. Le point d’indice doit être revalorisé. L’ensemble de ces mesures pour les personnels titulaires de recherche représente 3 milliards d’euros supplémentaires à atteindre en 4 ans.