La crise sanitaire en cours révèle les conséquences désastreuses des politiques d’austérité et de désengagement de l’État qui ont mis à mal les systèmes de santé, de protection sociale et l’ensemble des services publics. Depuis de nombreux mois, le secteur hospitalier et le monde de la santé de notre pays se sont mobilisés pour dénoncer le manque de moyens humains et financiers, la situation dramatique des EHPAD. Cela s’est traduit par un manque criant de lits pour accueillir les malades du Covid-19, la carence en moyens de protection, de tests de dépistage du virus et de matériel, alors que la France est la 6ème puissance mondiale.
En matière de recherche, cette politique d’austérité n’est pas sans conséquence : le témoignage de Bruno Canard, Directeur de recherche au CNRS, est à ce titre probant. Ce chercheur est spécialiste des virus à ARN dont le coronavirus. En 2015, il alerte la Commission européenne sur les dangers de cette famille de virus, sans la moindre réponse, ni le moindre financement pour lui permettre de travailler sur ce sujet. Plus généralement la recherche sur les maladies infectieuses a toujours été un parent pauvre de la recherche biomédicale, voir L’épidémie du Covid 19 : Ou la nécessité d’une recherche fondamentale libérée de toute finalisation.
Mais au-delà de la recherche en infectiologie, depuis la loi instaurant le Pacte de la recherche en 2006, c’est toute la recherche qui souffre de cette course à l’innovation, de cette injonction à s’orienter vers l’application et à la création de start-up, de ce financement par appels d’offres pour la moindre chose qui dévore tant de temps et d’énergie pour les chercheurs-euses et leurs équipes. Cette politique génère une précarité sans cesse croissante au détriment des postes de titulaires garants de la liberté de recherche qui seule permet des avancées conceptuelles et technologiques majeures.
Aujourd’hui nos gouvernants n’imaginent pas d’autres méthodes de financement que la compétition, même pour financer en urgence les laboratoires compétents en virologie. Ici l’ANR, là le programme H2020 ou le programme d’investissement d’avenir (PIA), ou encore le ministère des armées, chacun y va de son appel à projet COVID19 à retourner dans les meilleurs délais !
Rien de très étonnant quand on se rappelle que juste avant le confinement, le gouvernement était empêtré dans sa gestion calamiteuse de la réforme des retraites, en butte à l’opposition de la population, aux grèves et manifestations des salarié-es et aux critiques sévères du Conseil d’État. Devant l’impossibilité de faire voter sa loi par l’Assemblée nationale malgré la procédure accélérée, le gouvernement a profité d’un conseil des ministres consacré à la crise du coronavirus pour décider le recours au 49.3. L’enjeu était bien de faire passer sa réforme avant que la crise ne nous frappe de plein fouet.
Dans ce contexte de mouvements sociaux, le contenu du projet de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) était distillé au compte-goutte. Ainsi les orientations néfastes de ce projet avaient déclenché un puissant mouvement de protestation marquée par une journée d’action très suivie le 5 mars (LPPR où en est-on ? : Le point sur un projet de loi destructeur).
Que s’est-il passé après la grande journée d’action du 5 mars ?
Le 11 mars le ministère recevait la FERC-CGT pour lui confirmer les grandes orientations de la future loi. La plupart des critiques que nous avions formulées auparavant sur le caractère inacceptable de ce projet restaient malheureusement valables pour ce qui nous a été présenté ce jour-là :
- Augmentation des financements exclusivement via l’ANR (augmentation du taux de succès à 30%) et le PIA.
- Confirmation de la mise en place des tenure tracks (chaires de professeur junior), des CDD de mission scientifique, facilitation des échanges public/privé pour les chercheurs.
- Enveloppe de 92 millions d’euros pour 2021, largement insuffisante pour revaloriser les primes des personnels de l’enseignement supérieur et la recherche. Cette enveloppe devrait être reconductible sur 7 ans en fonction du contexte budgétaire.
- Pour 2021, les clefs de répartition des régimes indemnitaires des ingénieur-es et technicien-nes de la recherche IT/ITRF seraient en faveur des catégories C, des maîtres de conférence et des chargé-es de recherche.
- Simple alignement des primes des ingénieur-es et technicien-nes des organismes sur celles des personnels de catégories équivalentes dans les universités.
- Absence totale de revalorisation des grilles indiciaires.
- Absence de recrutements supplémentaires de titulaires.
- Absence d’augmentation du financement récurrent des établissements et donc des laboratoires en dehors du préciput de l’ANR (montée de l’overhead à 40%).
Le 13 mars la Ministre Frédérique Vidal recevait les organisations syndicales au sujet de la gestion de la crise sur le COVID19 qui commençait. La fermeture des établissements scolaires et universitaires venait d’être annoncée.
Le 15 mars, le gouvernement annonçait le confinement de la population. Le Président de la république déclarait le 16 mars que les réformes en cours, notamment la réforme des retraites, étaient suspendues. Tout le monde aurait pensé que cela concernait aussi la LPPR ! Il n’en était rien !
Le 19 mars, le Président et la Ministre en visite à l’institut Pasteur annonçaient des mesures : 5 milliards pour la recherche publique sur 10 ans avec une augmentation sensible de l’ANR et des mesures indemnitaires. Ils pensaient visiblement pouvoir profiter de la crise sanitaire majeure pour faire passer leur projet de loi très contesté. Loin d’être une révolution, ce projet poursuit les politiques délétères des vingt dernières années. En effet, 5 milliards ne représentent que la reconduction sur les dix prochaines années des très modestes augmentations annoncées avant la crise sanitaire. Ce montant est très en-deçà de ce que demandent, depuis des mois, la communauté, les organisations syndicales, le Comité national de la recherche scientifique. Pourquoi programmer les besoins de la recherche sur 10 ans, lorsque la crise sanitaire nous relève l’urgence absolue de remettre immédiatement au cœur de nos efforts la recherche et la santé publique ?
Le 25 mars, la Ministre a reçu certaines organisations syndicales, d’après les communications faites par ces dernières aucun élément nouveau ne leur a été révélé que nous ne connaissions déjà. Pour nous, ce dialogue social à deux vitesses ne contribue ni à la clarté du discours, ni à la sincérité des échanges.
Le 2 avril, lors d’une réunion entre l’ensemble des organisations syndicales et la Ministre portant sur la crise du COVID-19, nous avons réaffirmé que le temps était à la gestion de cette crise sans précédent et non à travailler les projets de loi « comme si de rien n’était ».
Tous les éléments en notre possession montrent que le gouvernement poursuit sa politique qui a conduit la recherche française, notamment en santé à la situation de crise actuelle. En témoigne, le rapport du 7 février « Faire de la France une économie de rupture technologique : soutenir les marchés émergents enjeux de la compétitivité » qui déplore que les programmes de la recherche publique ne soient pas alignés sur les besoins en recherche et développement des entreprises privées. Des leçons devrons être tirées, elles doivent remettre profondément en cause le système actuel de financement de la recherche et de rémunération de ses personnels, ce n’est pas le signal donné par le projet de LPPR actuel !
Le SNTRS-CGT réaffirme ses revendications seules à même de relancer vraiment la machine de la recherche française fragilisée par vingt ans d’austérité, de pilotage et d’encadrement technocratiques.
Cette crise sanitaire montre la nécessité d’une protection sociale de haut niveau, d’investir dans les services publics dont la Fonction Publique. Le SNTRS-CGT poursuit son engagement d’organisation syndicale auprès des salarié-es tant titulaires que contractuel-les tout au long de cette crise. Avec eux, il porte haut et fort la mise en place d’une autre politique de la recherche publique, loin de l’asservissement aux intérêts des entreprises.