Loin des débats qui relèvent plus de l’émotion que de la raison en cette période difficile, débats repris par des politiques en quête de sensationnalisme et de démagogie, nous vous proposons une analyse factuelle de la publication française de l’équipe du professeur Didier Raoult qui préconise l’utilisation de l’hydroxychloroquine pour le traitement des patients Covid-19.
Commentaires sur l’article Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial Gautert et al. du laboratoire dirigé par D. Raoult.
L’étude a consisté à évaluer quotidiennement et pendant 6 jours après le début d’un traitement (hydrochloroquine seule ou combinée avec l’azithromicine), la charge virale de patients à partir de prélèvements nasopharyngés et par la technique de PCR qui permet d’évaluer la quantité relative d’ARN viral dans les prélèvements. C’est la technique qui est actuellement utilisée pour tester en routine les patients COVID19.
De façon synthétique voici certains des problèmes que posent cette étude :
- l’essai n’a pas été fait en double aveugle ;
- pas de panachage des 36 patients inclus dans l’essai clinique entre les différents sites ;
- inclusion, uniquement dans le groupe contrôle, de jeunes patients (10 à 14 ans) dont la réaction au virus est très différente de celle des adultes ;
- 1 mort et 3 patients traités à l’hydroxychloroquine pendant 3 à 5 jours et passés en réanimation ont été sortis de l’étude ;
- les tests PCR utilisés pour estimer la charge virale tout au long du traitement n’ont pas été pratiqués dans les mêmes conditions pour tous les patients du groupe traité et la grande majorité des patients du groupe contrôle ;
- de nombreuses données de PCR sont manquantes pour le groupe contrôle ;
- les patients avec les charges virales les plus importantes sont restés positifs malgré le traitement à l’hydroxychloroquine (utilisée seule).
Les commentaires détaillés :
1. Le type d’essai clinique
L’article concerne un essai clinique de type « open-label non-randomized clinical trial », ce qui est loin d’être optimal, les essais cliniques étant la plupart des essais randomisés en double aveugle, c’est-à-dire des essais dans lesquels la répartition principe actif/placebo se fait de manière aléatoire et dans lesquels ni la personne prenant le traitement, ni la personne l’administrant ne connait cette répartition. Dans le cas qui nous concerne : (i) les patients savent s’ils prennent ou pas le principe actif, (ii) les administrants connaissent la répartition et SURTOUT (iii) tous les patients ayant reçu le traitement étaient à Marseille alors que la plupart des cas témoins étaient dans des centres autres que Marseille (autrement dit aucun cas traité ailleurs que Marseille), ce qui peut induire un biais important – différence dans la prise en charge des patients, dans les analyses de la charge virale (expérimentateurs, matériels, réactifs).
2. Des groupes traités et témoins disparates en ce qui concerne l’âge
On peut lire dans la partie qui décrit la méthodologie de l’étude :
“Hospitalized patients with confirmed COVID-19 were included in this study if they fulfilled two primary criteria: i) age >12 years; ii) PCR documented SARS-CoV-2 carriage in nasopharyngeal sample at admission whatever their clinical status.”
Autrement dit, les patients inclus dans l’étude doivent répondre à deux critères : avoir plus de 12 ans et être positif au test PCR fait à partir de prélèvements nasopharyngés. Pourtant dans un tableau des résultats (supplementary Table 1) on constate que des patients dans le groupe « contrôle » (patients n°1 et n°4) ont 10 ans !
On remarque également que parmi les 16 patients témoins, ¼ ont entre 10 et 14 ans et sont asymptomatiques alors qu’aucun des patients dans le groupe « traité » n’a moins de 20 ans. Il en résulte des moyennes d’âge très différentes entre les deux groupes 51,2 ± 18,7 pour le groupe traité versus 37,3 ± 24 pour le groupe contrôle. Quand on sait que depuis le début de l’épidémie on nous explique l’impact de l’âge sur le développement de la maladie, cet écart pose également un problème.
3. Le cas des patients « perdus » pour l’étude
Sur les 26 patients du groupe traités, il n’en reste que 20 à la fin de l’étude, ce qui n’est pas exceptionnel, il est courant d’exclure pour différentes raisons des patients au cours d’une étude mais regardons de plus près ce que sont devenus ces 6 patients.
- Un patient a arrêté à J3 (3ème jour du traitement) parce qu’il ne supportait pas le traitement (nausée)
- Un patient a quitté le CHU
- Un patient est mort au 3ème jour du traitement
- 3 patients sont passés en réanimation respectivement à J2, J3 et J4.
Donc dans cette étude les patients dont l’état s’est aggravé au cours de l’étude, 3 réanimations dont on ne sait pas ce qu’il est advenu et un décès sont tout simplement retirés de l’analyse des résultats….
4. L’analyse des résultats de PCR
a. Toutes les PCR n’ont pas été faites au même endroit donc sur les mêmes machines et dans les mêmes conditions, la plupart des échantillons des patients du groupe contrôle ont été testés ailleurs qu’à Marseille (patient n°6 et patients 8 à 15). Ceci pose un problème majeur quand on sait que la PCR est une technique extrêmement sensible qui permet une quantification relative, autrement dit qui permet la comparaison d’échantillons préparés et testés exactement dans les mêmes conditions. On est loin du compte, puisque les tests de la majorité des patients contrôles n’ont pas été faits à Marseille et donc dans des laboratoires différents, avec des machines différentes et des expérimentateurs différents !
b. Ces mêmes patients (patient n°6 et patients 8 à 15) n’ont pas été testés tous les jours, comme indiqué dans l’article : “acontrol patients from centers other than Marseille did not underwent daily sampling, but were sampled every other day in most cases, they were considered positive for PCR when actually positive the day(s) before and the day(s) after the day(s) with missing data.” Ceci paraît particulièrement extravagant. En effet, alors que toute l’étude repose sur la quantification par PCR de la charge virale pendant 7 jours consécutifs (jour 0 au jour 6), certains patients, qui appartiennent tous au groupe contrôle, ne sont pas testés tous les jours, les données manquantes étant comblées par extrapolation des valeurs obtenues le ou les jours d’avant ou d’après ! Démonstration du peu de rigueur de la démarche (table ci-dessous): le patient n°12 du groupe contrôle n’a été testé que 2 fois en 7 jours (aux jours 2 et 4), comme il était positif les deux fois, les auteurs ont considéré, qu’il était toujours positif au jour 6. Pourtant les résultats d’un autre patient (le n°2) suggère qu’on peut spontanément passer d’un statut positif à négatif en 1 jour (ce qui n’est pas inattendu d’ailleurs dans le cadre du Covid-19 où 80% des patients guérissent spontanément). Donc déduire que le patient n°12 est positif à la fin de l’étude sans l’avoir ré-analysé n’est pas acceptable.
En résumé le groupe contrôle affiche plusieurs problèmes qui a eux seuls suffiraient à invalider l’étude : âge des patients avec 4 enfants asymptomatiques, patients testés pour la plupart (n° 6 à 16) vraisemblablement sur d’autres machines que le reste des patients, manque de données.
c. Dans le groupe traité on note que sur les 14 patients traités à l’hydroxychloroquine, ceux qui ont la charge virale la plus importante restent positifs.
On obtient donc 7 patients négatifs sur les 14 traités avec la chloroquine seule et pour la bithérapie, les 6 patients traités 6 deviennent négatifs. Ces résultats pourraient paraître encourageant, néanmoins étant donné la répartition des groupes sur les différents centres, les patients sortis de l’étude sans qu’on ait plus d’informations et la totale invalidité du groupe contrôle, cette étude ne permet malheureusement pas de conclure sur l’efficacité des traitements proposés.
5. Autres considérations
Cet article a été soumis le 16 et accepté le 17 mars ….
« Received 16 March 2020, Accepted 17 March 2020, Available online 20 March 2020.”
Un des co-auteur est à la fois l’éditeur en chef de la revue dans laquelle est publié l’article et le responsable de la valorisation dans l’IHU dont le dernier auteur est directeur. On peut donc sérieusement s’interroger sur le conflit d’intérêt.
Au moment où nous rédigions ce commentaire, l’équipe de Pr D. Raoult sortait un nouvel article consultable sur le site de IHU (COVID-IHU #2).
Un commentaire détaillé de cette nouvelle étude est en cours de préparation, néanmoins on peut déjà dire qu’ayant été faite sans un groupe témoin de patients non traités, il sera à nouveau impossible de conclure.
Une autre remarque sur ce travail : les résultats obtenus quant au devenir des 80 patients traités (81,2 % de cas bénins, 15% de cas sévères, 3,8% de cas en soins intensifs) sont comparables aux estimations faites pour la population non traitée : une évaluation sur 44 672 cas confirmés en Chine rapporte que 81% des cas sont bénins, 14% des cas sont sévères et 5% des cas sont critiques. L’étude chinoise rapporte également un taux de mortalité de 2,3% qui est supérieur à celui de l’étude du Pr D. Raoult (1,2%), mais sur ce point la comparaison reste difficile quand on sait que ce taux est très dépendant de l’accès aux soins.