Le changement de l’ordre d’affiliation sur les publications des chercheurs des EPST est un nouvel élément du détricotage des organismes de recherche, et loin d’être anecdotique.
Il est étonnant de voir l’énergie que mettent les gouvernements successifs à détruire ce qui marche et qui est performant au niveau international. Prenons le cas du CNRS : il est un des tout premiers organismes de recherche dans le monde. Alors pourquoi chercher à le vendre à la découpe aux universités françaises qu’on met en concurrence les unes avec les autres ? Pourquoi affaiblir le CNRS et vouloir en faire une simple agence de moyens au niveau local, alors qu’aucune université, dorénavant isolée des autres, ne sera en capacité d’atteindre le niveau du CNRS ?
La réponse est simple : par pure idéologie libérale.
Pour les 80 ans du CNRS, le 1er ministre Édouard Philippe, la ministre de l’ESR Frédérique Vidal, assistée du PDG du CNRS Antoire Petit, ont décidé de la mort du CNRS, tournant le dos aux idéaux des pères fondateurs, Jean Perrin et Jean Zay : une science pure, désintéressée et indépendante. Un bien triste anniversaire pour tous les agents des EPST dévoués à faire avancer une science émancipatrice et non assujettie aux intérêts privés et au court-termisme.
Communiqué du SNTRS-CGT :
C’est avec diligence que, la Ministre, Mme Vidal vient d’accéder à la demande de la Curif (Coordination des universités de recherche intensive françaises) de demander aux PDG des organismes nationaux de recherche que leurs chercheurs dont les articles sont hautement cités mettent sur leurs publications comme première affiliation l’université de rattachement de leur laboratoire avant celle de l’organisme de tutelle. Il s’agit pour les universités françaises d’être visibles à l’international en montant par cet artifice dans le classement de Shangaï. Les choix méthodologiques de ce classement ont fait l’objet de très nombreuses critiques. Il est basé sur des critères non pertinents résultant d’une méthode biaisée d’agrégation des facteurs. Certains ont jugé inacceptable qu’il soit jugé à des fins d’évaluation*, d’autres qu’il était « un exercice hâtif, grossier et mal conçu, sans la moindre valeur »**.
Ce classement établit une hiérarchie qui est à l’origine d’une compétition entre établissements pour la captation des étudiants et l’obtention des financements.
Plusieurs universités n’ont pas attendu la demande de la Curif pour faire pression sur les chercheurs des laboratoires qu’elles hébergent pour qu’ils inversent leurs affiliations.
La ministre a donc demandé aux organismes de s’effacer en sacrifiant leur visibilité scientifique internationale au profit des universités. Les organismes de recherche doivent se réduire à des agences de moyens affectant du personnel et des instruments scientifiques au profit de leurs hébergeurs.
Si cet artifice va faire gagner quelques places aux universités dans le classement de Shangaï, il va progressivement effacer les organismes nationaux de recherche du paysage mondial. Ils disparaitront à terme du classement Scimago (le CNRS est 2e, l’Inserm 26e).
La Ministre a accédé à la demande de la Curif, car le pouvoir veut marginaliser les organismes de recherche pour créer, à travers les ordonnances, des pôles intégrés d’enseignement et de recherche (baptisés universités) qu’il pilotera par des procédures de contractualisation.
Ce changement d’affiliation, fournit aux universités un argument pour s’approprier l’intégralité de la propriété intellectuelle et spolier les organismes du fruit de leur recherche.
La Curif n’en est pas à son coup d’essai. En septembre 2017, elle avait demandé à bénéficier du programme budgétaire 172 qui finance uniquement les organismes nationaux de recherche sous prétexte que les universités sont cogestionnaires des unités mixtes de recherche. Revendication qui par la suite a été reprise par la CPU.
Cette politique de site, de regroupements territoriaux de l’enseignement supérieur et de la recherche, porte en elle à terme la disparition des organismes nationaux de recherche.
Le processus est déjà enclenché avec la disparition programmée de l’Ifsttar*** qui doit fusionner au 1er janvier 2020 avec l’université de Marne la Vallée pour former la nouvelle université dite « de recherche », Gustave Eiffel, et avec 4 écoles d’ingénieurs qui elles, garderont leur personnalité morale. L’université Gustave Eiffel se prétend ainsi université nationale sous prétexte qu’elle absorbe un organisme de recherche présent en France sur 9 sites.
Après l’Ifsttar à qui le tour ?
* Fatal attraction: Conceptual and methodological problems in the ranking of universities by bibliometric methods. Van Raan. AFJ Scientometrics. 2005 6. 133-143
** Should you believe in the Shanghai ranking? JC Billaut JC, Bouyssou D, Vincke P, Scientométrics 2010. 84, 237-263
*** Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux